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10 septembre 2015

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9 septembre 2015

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Histoire de Viroflay racontée aux enfants (en 1929)

Un discours enflammé
 

VIROFLAY

SON HISTOIRE !

SES GRANDS HOMMES !

Le Conseil Municipal de Viroflay, estimant qu’il y avait intérêt à publier l’exposé historique de la commune renfermé dans l’allocution prononcée à la distribution des prix du 28 Juillet 1929, par M. PRÉCLlN, Président de cette cérémonie, a décidé que cette allocution serait imprimée pour être propagée surtout dans les écoles de la Ville, et il prie M. Préclin de bien vouloir accepter ici le témoignage de sa vive gratitude.

MESDAMES,

MESSIEURS,

MES CHERS ENFANTS,

Il vous tarde de recevoir les beaux livres à couverture rouge à tranches dorées ou jaunes qui vont récompenser le travail de l’année et vous encourager à faire de nouveaux efforts au cours des mois qui suivront la rentrée prochaine. Mais ce mot de mauvais augure : la rentrée, beaucoup d’entre vous ne veulent pas le prononcer. Tout n’est-il pas à la joie ? Les parents ne verront pas sans émotion leur fils ou leur fille monter timidement à l’estrade pour y recevoir un gros livre. Dans ce court instant de gloire, ils évoqueront leurs propres souvenirs en pareille circonstance. Pendant que les grands se prennent à rêver, les enfants, parés de leurs plus beaux atours, attendent avec impatience le moment où ils pourront feuilleter les pages de leur livre, s’exclamant ici, admirant là. Puis, dans quelques heures, ce sera le dîner de famille, l’échange confiant des espérances des grands, des projets des jeunes. Demain, ce sera pour vous, écoliers et écolières, la liberté retrouvée des vacances qui paraissent devoir durer toujours.

Oui, mais avant que se déroulent ces scènes joyeuses, vous allez subir un dernier pensum, sous la forme d’un discours à entendre. Et quel discours ! Rien moins .qu’une leçon d’Histoire. Car, ce n’est pas en vain que la municipalité de Viroflay me faisant un honneur dont je la remercie du fond du cœur, a fait appel à un professeur d’Histoire pour présider la distribution des prix. Historien et géographe, que puis-je faire, sinon le rester ? Ce qui me met à l’aise pour vous exposer mon dessein. Au cours de ces quelques minutes d’entretien, je me .propose, en votre compagnie, de faire un court voyage autour de Viroflay, d’évoquer les événements de son passé, de lire le palmarès de ses illustres fils.

A tous les assistants, les trois syllabes du mot Viroflay évoquent la vallée sèche qui sinue entre le Pont de Sèvres et la Place d’Armes, les pentes généralement sableuses et boisées, mais argileuses à mi-côte, que couronnent les bois de Meudon sur la rive gauche, de Fausses-Reposes sur la rive droite. Pour vous, jeunes enfants, viroflaysiens d’hier, notre petite ville, c’est avec la Route Nationale pour axe, le quadrillage des rues droites du Plateau et du Louvre, les voies rayonnantes du Haras sur la rive gauche et, sur la rive droite, les chemins parallèles courant à flanc de coteau, tout comme les trois lignes de chemins de fer qui assurent des relations faciles avec la capitale. Mais pour vos parents, fixés depuis longtemps ici, Viroflay, c’est le « Haut du Pavé », le « Village », les maisons trapues et toutes de guingois qui se pressent autour de l’église.

Comme des milliers d’agglomérations en France, notre petite patrie dut son origine à une clairière défrichée aux premiers siècles de l’ère chrétienne, dans la forêt d’Yveline , par la famille romaine d’Offlein (Offleni). Les paysans de la Villa d’Offlein, de Villoflein, on dira plus tard poétiquement Giroflée et plus prosaïquement Virofflet ou Viroflay, étaient fort peu nombreux. Ils obéissaient à trois seigneurs, dont deux peu actifs : l’évêque de Paris et le maître de la bourgade de Versailles. Le troisième, représentant de la lignée des Villoflein, qui résidait sans doute, obtint de l’autorité épiscopale l’érection d’une humble chapelle dédiée à Saint-Nicolas (1295), succursale de Montreuil. Dès lors, après avoir écouté la messe rapidement dite du chapelain, les villageois pourront, devant le porche, deviser de leurs intérêts, prendre conscience de la solidarité qui les unit.

Puis, c’est la catastrophe de la Guerre de Cent Ans. Routiers des Grandes Compagnies, Anglais, partis d’Armagnacs, ou de Bourguignons, envoient plusieurs fois leurs boute-feux incendier les chaumines de la région parisienne. La chapelle Saint-Nicolas de Viroflay dévastée, apparaît pendant plusieurs dizaines d’années, le toit crevé, les murs noircis. Pour les réparer, il n’est plus de seigneur, car la lignée des Villollein vient de s’éteindre. Privée de chef et de tout centre de vie collective, la petite communauté risque de retomber dans l’isolement. Elle n’y revient pas, pourtant. Car, sous l’impulsion des rois, de Charles VII le Bien Servi, à Louis XII le Père du Peuple, les laboureurs libres relèvent leurs ruines. La bourgeoisie parisienne, enrichie par le négoce, achète des fiefs dans les environs. C’est ainsi qu’au début du règne de Louis XI, un seigneur bourgeois acquiert Viroflay. Grâce à lui, l’année même où Louis XI revient de Péronne « honteux comme une poule qu’un renard aurait pris », la chapelle reconstruite rend un centre à la communauté paysanne. Par mariage, l’avocat parisien Pierre d’Aimery, devient seigneur de Viroflay. Auprès de l’évêque Jean du Bellay, il s’entremit, pour que la chapelle succursale de Montreuil soit élevée au rang d’église paroissiale. Avec l’arrière-pensée de gagner le vicaire général chargé du rapport, disent les uns, avec celle de flatter le prélat lettré et ami des arts qui hâte la construction de l’église Saint-Eustache à Paris, disent les autres, l’habile d’Aimery propose de débaptiser Saint-Nicolas de Viroflay. Il l’emporte (1545). Ainsi, l’année même de l’ouverture du Concile de Trente, Viroflay devenue paroisse sous le vocable de Saint-Eustache, s’organisait avec ses marguilliers, avec l’assemblée de ses habitants. Ceux-ci, cessant d’être des individus isolés, formaient une communauté, l’ancêtre de la commune moderne. Au siècle de la Renaissance et des guerres de religion, les documents restent silencieux sur l’histoire de Viroflay. Mais voilà que les d’Aimery, appauvris - est-ce parce qu’il est interdit aux nobles d’exercer les métiers ? - cèdent les trois huitièmes de leurs droits sur Viroflay aux Le Tellier, parvenus parisiens devenus seigneurs de Chaville. Le chancelier Michel Le Tellier offre une cloche à l’église Saint-Eustache. La veuve du fils de Le Tellier, le terrible marquis de Louvois, organisateur de l’armée royale, vend la terre de Gaillon et son vaste parc à Louis XIV. Saint-Eustache, paroisse royale, s’orne de boiseries données par le souverain. Encore aujourd’hui, les carrés en relief qui encadrent une tête de jeune homme illuminée par les rayons du soleil, jettent une note claire sur la paroi sombre de la nef de gauche. La nourrice de Louis XIV aurait demeuré dans la rue de Versailles. Et le chapelain du grand roi se serait établi dans la maison, fort vétuste aujourd’hui, qui fait l’angle du carrefour de la Fontaine et du passage Gaillon.

Le règne de Louis XIV ouvre une seconde période dans l’histoire de Viroflay. C’était jusque-là un humble village des environs de Paris, un peu plus mal situé que les autres, parce que caché au creux d’une colline boisée. Le voilà désormais sur le chemin le plus court de la vieille capitale des premiers Capétiens à celle toute nouvelle du roi Soleil. Et si Viroflay reste éloigné des routes de Picardie et de Choisy, destinées à relier Versailles aux provinces, il est traversé par les deux routes de Paris. Les paysans viroflaysiens, réquisitionnés, plantent de gros pavés inégaux dans les fondrières du chemin forestier entre la Chaumière et le château de Meudon, alors résidence du Grand Dauphin, fils de Louis XIV. Au cours de vos ébats dans le voisinage du Chêne de la Vierge, rappelez-vous, enfants, que le Pavé de Meudon est à la fois un reliquat de la corvée détestée et un exemple de ce qu’étaient les meilleurs chemins au temps de Louis XIV. L’autre voie qui reliait le pont de Sèvres à la place d’Armes, bien que construite par une véritable armée de Bretons, guidée par des entrepreneurs qualifiés, ne valait guère mieux. Sous Louis XV et Louis XVI, de hideuses voitures, les carrabas et les pots-de-chambre y conduisent de cahots en cahots les bourgeois parisiens qui veulent visiter le château ou solliciter quelque grand’personnage. Aussi quelle animation ! Pour vous en faire une idée, je ne sais rien de plus exact et de plus vivant que les premiers chapitres d’un roman bien oublié aujourd’hui d’Ernest Capendu : « L’Hôtel de Niorres ». L’auteur nous montre les postillons et les cochers qui descendent dans maintes auberges : A Chaville, « Le Puits sans Vin » ; à Viroflay, « La Grâce de Dieu », « La Belle Image », « L’Enseigne de la Croix ». Pendant que les valets d’écurie se hâtent lentement au relais, les voyageurs curieux gravissent les pentes couronnées de maisons de campagne de style rocaille : les rendez-vous de chasse du temps. Ils regardent les champs de la rive gauche que de gros cultivateurs, les Corby, améliorent à force de travail. Sur la rive droite, bien exposées au soleil, se dressent les vignes que, chaque année, les propriétaires veulent vendanger sans attendre le ban ou permission accordée par le bailli royal de Meudon. Souvent, les promeneurs, revenus à la maison de poste, retrouvent leurs compagnons de voyage, attablés autour d’une bouteille, en pleine discussion politique avec les villageois. On échange des propos frondeurs, on se plaint de la lourdeur des impôts. On réclame des réformes. Qui n’est mécontent en cette fin d’ancien régime ! Au cours d’une famine survenue quelques années avant la Révolution, trente Viroflaysiennes et quelques VirofIaysiens auraient arrêté sur la grand’route des voitures chargées de grain . Bientôt tout Viroflay verra défiler l’armée des Parisiennes qui, parties pour Versailles dans l’unique dessein de rapporter du pain, ramèneront le roi à Paris (6 Octobre 1789). Nos compatriotes n’en demandent pas moins l’immédiat desséchement de l’étang de Porchefontaine, qui s’étendait alors entre l’emplacement actuel des Six Ponts, de la grille de l’Avenue de Paris et de la Rue de Vergennes. Le Prince de Poix, surintendant du domaine royal, promet le creusement d’un égout collecteur entre l’étang et le pont de Sèvres, rien moins que l’assainissement total et prochain de toute la vallée. Belle promesse ! Beau programme ! Ne reprochons pas trop à l’ancien régime mourant de n’en avoir pas fait une réalité en 1790. Car, en 1929, le projet du Prince de Poix n’est pas intégralement exécuté. A la suite des événements de 1789, le village royal fait place à la municipalité libre. L’assemblée électorale se réunit dans l’église Saint-Eustache. Le curé Nicolas Nicquet, qui se ralliera à la Constitution civile du Clergé, devenu maire, fait édifier l’actuelle maison du presbytère, établir une fontaine publique. Sur ses conseils, Louis XVI donne aux habitants de Viroflay un grand champ qui est devenu le cimetière communal. Puis Nicquet s’oppose au partage des communaux. En commémorant le souvenir du curé-maire par une plaque posée sur les murs de la villa Saint-Étienne, rue Rieussec, nos concitoyens n’ont fait que rendre justice à un bienfaiteur insigne de la cité. Puis, sous la direction d’un petit Robespierre local, le Montagnard Germain, Viroflay allait passer dans la paix les jours ailleurs tragiques de la Terreur, célébrer la prise de Toulon, en plantant aux Bertisettes les deux sycomores qui s’y dressent encore . Après l’invasion prussienne (30 Mars 1814), les cinq mois d’occupation anglaise (1815), les jours héroïques sont révolus. Jusqu’en 1830, Viroflay subissant les contrecoups de l’injuste disgrâce dans laquelle est tombée Versailles, cultive les vignes, accueille les rouliers dans les auberges de la Route Nationale, les chasseurs dans les domaines et dans les bois. Tout change après les Trois Glorieuses Louis-Philippe consacre l’immense palais de Louis XIV à toutes les gloires de la France, au moment où les industriels et les négociants parisiens, bénéficiaires des journées de Juillet 1830, s’enrichissent grâce au machinisme. Comme les héros de Balzac, et pour imiter les anciens nobles, ils deviennent propriétaires en banlieue. Pourquoi pas à Viroflay ? La Chaumière redevient un rendez-vous de chasse, la Source est achetée par le libraire Delalain, Saint-Vigor par un magistrat, les Feuillantines par un noble, le Château de Gaillon par un entrepreneur, les pentes de la rive gauche par le maire Rieussec, fils d’un marchand de fourrages, et qui tombera victime d’un attentat organisé par les sociétés secrètes républicaines contre Louis-Philippe. Grâce au concours pécuniaire de ces hôtes, devenus les bienfaiteurs de la commune, des maires dévoués : Amédée Dailly avant 1870, Arthur Petit depuis, font percer des voies nouvelles, établir des canalisations d’eau, poser les réverbères à gaz, installer les premières écoles communales où « les enfants grouillaient comme des nichées de rats sans jamais ouvrir un livre ». Imposant silence aux protestations intéressées de l’aubergiste Vaudron qui vend à boire aux rouliers, restant sourds aux récriminations parfois burlesques des vignerons et des chasseurs qui craignent pour la qualité de leur vin ou de leur gibier, les administrateurs de Viroflay consentent au passage de la ligne de Paris Saint-Lazare, inaugurée en 1839, puis à celui plus tardif de la ligne de Paris-Montparnasse. Vers le milieu du siècle, le petit village est devenu un bourg de près d’un millier d’habitants, doté d’une école, relié à la capitale.

Depuis 1850, les bois de Viroflay n’ont point cessé d’attirer les Parisiens. Les humbles, venus par le chemin de fer ou par l’Américaine - il s’agit du tramway Louvre-Versailles - se promènent quelques heures sous les arbres, le dimanche. Les plus riches passent les jours d’été dans les domaines de Viroflay, dont ils deviennent comme des citoyens honoraires. C’est d’abord le Duc de Morny, demi-frère de Napoléon III par sa mère la Reine Hortense, et petit-fils, par son père Flahault, du grand diplomate Talleyrand. Accompagné de sa femme, la belle Princesse Troubetzkoï, d’origine russe, Morny vient tous les jeudis à Viroflay voir sa fille aînée qui y est en nourrice. Oubliant la dernière séance du Corps Législatif qu’il préside, la récente spéculation heureuse qu’il a engagée - il vient de lancer la plage de Deauville, - songe-t-il à la dernière pièce qu’il vient d’écrire avec Ludovic Halévy : « Monsieur Choufleury reste chez lui ? ». Mais, il s’agit bien aujourd’hui de Choufleury ! Morny le blasé avouant qu’il ne reste pas insensible au charme de notre vallon sans usines, se promet d’y résider (1857). Vite, il fait construire la grande maison de meulières et de briques qui abrite aujourd’hui la Mairie et du perron duquel je parle aujourd’hui. Dans la demeure bientôt achevée, l’amphitryon met ses hôtes à l’aise, mieux que la duchesse étourdie au point d’oublier la présence de ses invités. Au cours de ces réceptions qu’un Daudet nous fait revivre dans quelques pages colorées du Nabab, la conversation vient-elle à languir entre les dames parées de robes à crinoline et les hommes aux habits noirs ? Vite, Morny conduit ses invités à son haras privé, peuplé d’une centaine de chevaux qui portent les couleurs présidentielles le jour des courses. Longtemps, les Viroflaysiens garderont le souvenir des splendeurs et des bienfaits de Morny, puis celui de l’acquéreur de son domaine, le Baron Malouet, descendant d’un célèbre Constituant (1868). Du moins, à défaut des réceptions quasi-royales d’antan, Viroflay, voisine de Versailles redevenue capitale de 1871 à 1879, reçut plusieurs visites incognito du Maréchal de Mac-Mahon, Président de la République. A la fin du siècle, même, une reine authentique en exil depuis trente ans, Isabelle II d’Espagne, grand-mère d’Alphonse XIII, vint passer plusieurs été au Château de Gaillon. Tout comme les hommes d’État et les souverains, des écrivains se mirent à chercher quelque repos sous les ombrages de Viroflay. A l’appel d’un homme politique de ses amis, le Comte Duchâtel - descendant, de ce Tanneguy-Duchâtel qui assassina Jean-sans-Peur sur le pont de Montereau, - Guizot s’établit plusieurs étés à la Source, Avenue de Versailles. Protestant convaincu, fidèle à son passé de professeur et d’historien, il a fait le premier une réalité de cette noble parole de Danton : « Après le pain de chaque jour, l’instruction, est le premier besoin du Peuple ». Dans chaque commune, il ordonna l’ouverture d’une école. Puis, pour les enfants de ces écoles communales qu’il avait appelées à la vie, il allait composer l’Histoire de France racontée à mes enfants, admirable par le relief avec lequel apparaissent les grandes figures de Charlemagne, de Saint-Louis, les grandes forces morales du Moyen Âge, l’Église et la Chevalerie. Tout comme la Source pendant le séjour de Guizot, la propriété du Bon Repos, au 17 de l’Avenue de Versailles, évoque la méditation et le travail. La maison blanche aux huit fenêtres, élargie par une terrasse, assombrie par les grands arbres et par l’étang aux eaux noirâtres, fut la résidence de plusieurs hôtes illustres : Amédée Dailly, son propriétaire, y accueillit l’abbé Dupanloup, puis son propre neveu, le célèbre Anatole Leroy-Beaulieu. Après une jeunesse consacrée à la littérature d’imagination, après un voyage, puis un long séjour en Russie, Leroy-Beaulieu se prit à méditer sur ce qu’il avait vu à Moscou et à Saint-Pétersbourg. C’est en partie grâce à son action, mais surtout à celle du Marquis de Voguë, que le théâtre et le roman russe ont connu en France trente années d’incroyable vogue, marquées par un enrichissement de notre propre pensée. Mais, sensible aux ombres comme aux rayons, Leroy-Beaulieu, devenu le Directeur de l’École des Sciences Politiques, dont il a fait comme le séminaire des consuls et des grands fonctionnaires de la République, a révélé à ses élèves les lézardes de l’édifice majestueux de l’Empire des Tsars, la corruption des gouvernants, la politique ambitieuse des diplomates, la misère et la cruauté des masses. Sans avoir besoin d’autant de clairvoyance, un autre historien qui vint s’établir dans la rue de Versailles prolongée (1876), sut du moins admirablement expliquer les crises de l’antiquité romaine. Au 12 de la rue qui porte aujourd’hui son nom, Gaston Boissier, savant latiniste et professeur émérite en Sorbonne, reçut ses confrères de la Faculté et des Académies. On y faisait assaut d’esprit. Un jour, le maître relisait à ses élèves quelques pages de son admirable Cicéron et ses Amis. Plus tard, au lendemain des désastres de Sedan, il préparait l’Opposition sous les Césars, et sous le prétexte d’y glorifier Tacite, infligeait un blâme sévère aux flatteurs de l’Empire : quelques-uns des familiers de Morny. Plus tard encore, ce fut le gendre du maître, le général Lavisse, directeur de l’école de Saint-Maixent, qui vint exposer ses idées, sur la préparation des officiers d’infanterie. Les préoccupations patriotiques de Gaston Boissier et du général Lavisse étaient partagées par un de leurs voisins, un habitant de la rue Amédée Dailly, et, par ailleurs, fort différent du soldat et du latiniste. Neveu par alliance du curé Hamelin , Henri Welschinger, alsacien de Sélestat, archiviste de l’Assemblée Nationale et fonctionnaire, du Sénat, fut un bienfaiteur de Viroflay. Grande intelligence au service d’un cœur généreux, il fut d’abord attiré par le théâtre de la Révolution, si vivant même aux jours critiques de la Terreur. Du théâtre, il passa à l’histoire romanesque. Avec moins de vie dans le style et moins d’imagination, mais avec plus d’exactitude que Lenôtre, il raconta le Roman de Dumouriez, les aventures singulières du conspirateur vendéen Cormatin, les heures dramatiques du Divorce de Napoléon Ier, ce qui le conduisit à étudier le Roi de Rome. Repoussant la légende allemande et romantique qui faisait de Napoléon II un enfant rêveur et dégénéré, il fait revivre le véritable Duc de Reichstadt, adolescent inquiet, mais admirateur secret des gloires paternelles. Aussi bien, dans son drame de « l’Aiglon », le grand poète Edmond Rostand semble s’être inspiré des bonnes feuilles de l’ouvrage de H. Welschinger. Mais, à saisir sur le vif l’action déformante des idées germaniques sur un jeune Français, le vieil Alsacien eut le désir d’étudier le passé de l’Allemagne ravisseuse de son Alsace natale. Il consacra trois ouvrages aux Origines de la Guerre Franco-Allemande, à l’Empereur Frédéric III, à Bismarck. Mais, en historien digne de ce nom, il sut montrer dans tout leur relief les fautes du Second Empire, comme il sut accuser dans tout son jour la déloyauté du Chancelier allemand. Welschinger a eu la joie de voir le retour de l’Alsace à la France. Il repose, non point près de Sélestat, mais dans le cimetière de Viroflay, sa patrie d’adoption. Saluons sa tombe en quittant la rive gauche. Gravissons les pentes ensoleillées, mais dépouillées de leurs vignes , de la rive droite.

Dans la rue de la Saussaye, face à la rue Galliéni, s’élève la demeure d’Hippolyte Maze, professeur d’histoire au Lycée Hoche, républicain ardent, devenu préfet des Landes, du gouvernement de la Défense Nationale, puis député et sénateur de notre département. Âme généreuse, il se fit le propagandiste des Sociétés de secours mutuels qui, depuis ; ont soulagé tant de misères et appris aux hommes les bienfaits de la solidarité consentie. A l’angle des rues Galliéni et de la Saussaye, près de Maze, son ami Jules Claretie vint se reposer pendant trente années (1882-1913). Brillant journaliste de l’opposition républicaine sous l’Empire, historien averti de nos défaites de 1870, dont il avait été le témoin attristé, le père Claretie, devenu l’administrateur conciliant du Théâtre Français, l’ami des acteurs et des chroniqueurs du Tout-Paris, n’en resta pas moins homme de conscience. N’est-ce pas lui qui, le 5 Août 1912, présidant la distribution des prix des écoles de Viroflay, disait à vos aînés :

« Vive labeur !

« artisans, ouvriers, penseurs !

« Des actes et non des mots !

« conducteurs de peuples et d’armées !

Ces deux devises doivent être la vôtre dans la vie. Et elles doivent être, mes enfants, la devise et le devoir de tout le monde. Tout près de Maze et de Claretie, dans l’ancienne propriété aujourd’hui lotie du Comte Duchâtel, vécut Joseph Bertrand (1822-1900), enfant prodigieux et grand savant. Il reçut l’autorisation de suivre les cours de l’École Polytechnique à onze ans, à l’âge où vous ne pouvez encore passer le certificat d’études. A 34 ans, il est académicien. Forts savants, ses mémoires n’en restent pas moins lumineux dans la pensée, élégants et clairs dans la forme, bien français toujours.

Puisse ce récit des événements marquants de l’histoire de Viroflay, suivi de l’évocation des historiens, des hommes politiques, des savants, des artistes comme Tony Robert-Fleury et le sculpteur Cornudet qui se sont établis ici, vous suggérer deux enseignements !

Dans toute sa simplicité, l’histoire de Viroflay est un résumé de celle de la France. Au cours des âges, la villa romaine devient une seigneurie, une paroisse au XVIe siècle, une paroisse royale au XVIIe, une municipalité libre au XVIIIe. Sous la direction du curé Nicquet, puis de trois laïques : Germain. Amédée Dailly, Arthur Petit, la petite communauté s’embellit et se peuple. A point nommé pour accueillir (entre 1900 et 1914), ici sur le Plateau, là dans le quartier du Louvre, et, depuis 1920, dans le Haras et le Grand Chalet, les Parisiens qui viennent chercher dans notre petite ville, l’air et le silence que leur refuse la grande ville.

Puissiez-vous, à partir d’aujourd’hui, parents et enfants, cesser de traverser indifférents les rues de Viroflay, puissiez-vous vous intéresser à son développement futur comme vous l’avez fait à son histoire.

Mais à quoi nous servirait de reconstituer l’architecture des pierres brisées, le tracé aujourd’hui effacé des chemins abandonnés, si vous oubliez les exemples des Viroflaysiens qui, pendant vingt siècles, cultivèrent le sol, asséchèrent les étangs, conquirent la liberté. A ces hommes obscurs qui reposent dans l’enclos de l’église ou dans le cimetière, les Moufle, les Lair, les Le Joindre, les Avril, les Chédhomme, les Largemain, les Gaugé, les Géant, les Duhamel, les Gâteau, comme aux combattants de la Grande Guerre dont les noms sont gravés dans le vestibule de la Mairie, nous devons les facilités de la vie présente. En vertu d’une impérieuse solidarité, nous devons demain rendre plus habitable et plus belle la clairière défrichée par nos aïeux. Prenez aussi pour guides les grands hommes qui ont honoré votre petite patrie. Écoliers, et selon vos aptitudes, efforcez-vous à acquérir l’amour de la clarté, la curiosité de l’esprit chères à un Joseph Bertrand, la finesse gracieuse d’un Claretie, la haine absolue du mensonge d’un Guizot. Tous, du moins, aimez la France avec la ferveur d’un Welschinger, avec la clairvoyance éloignée du chauvinisme d’un Leroy-Beaulieu. Tous, du moins, aimez vos semblables, humbles et souffrants, comme le fit Hippolyte Maze, le grand mutualiste. Que tous ces grands noms, à l’instant évoqués, président à vos .travaux scolaires, exaltent vos cœurs.

Par là, la brève leçon d’histoire locale que je viens de vous faire, terminée par des conseils de morale pratique, va prêter son appui aux enseignements que vous donnent des maîtres et des institutrices dévoués ; sans cesse, ils vous disent : « Tout en consacrant tous vos efforts à la pratique de la lecture, de l’écriture, des quatre règles du calcul, tout en apprenant demain à vous servir d’une automobile ou d’une machine à écrire, n’oubliez pas qu’il importe avant tout d’être un homme digne de ce nom, loyal, actif et discipliné, désireux de faire le bien. Pour acquérir toutes ces qualités, imitez les bonnes actions de vos parents, de vos camarades ». A ces sages préceptes, je me contenterai d’ajouter : « Comme il n’est point d’aide inutile en vue de l’action, suivez aussi les bons exemples transmis par l’histoire des habitants de Viroflay, puis de son élite. Car, tandis qu’un peuple qui reste sourd aux leçons de la vie de ses grands hommes est mûr pour une décadence méritée, les nations fidèles aux leçons de leur passé restent puissantes et respectées, comme prédestinées d’une gloire nouvelle ».

Électeurs de demain, futures maîtresses de maison, aimez votre, petite patrie pour mieux aimer la grande, la rendre plus forte, plus humaine, plus digne d’être aimée.

E. Préclin

Agrégé de l’Université,

Docteur ès-lettres,

Professeur au Lycée Hoche.

Imprimerie Machard & Longis — Paris, Versailles


mise en ligne le 4 octobre 2024