Documents

Usage des clichés du site

10 septembre 2015

Vous êtes intéressés par une version haute résolution d’une de nos vues ? Par des précisions pour l’identification ? Par une autorisation de reproduction ou de citation ? N’hésitez pas à nous contacter !.

Recherche

9 septembre 2015

Nous sommes en permanence à la recherche de documents, photos, plans, etc. apportant des informations inédites sur Viroflay et les environs. Les documents prêtés seront scannés et rendus rapidement. Nous contacter via le site.

L’été à Viroflay (Le Figaro, 1880, Le Gaulois, 1896)

 

Le Figaro Jeudi 12 août 1880, Le Gaulois n°5377 Lundi 27 juillet 1896, numérisés sur Gallica (Bibliothèque Nationale de France)

Paris l’Été

VIROFLAY

S’il vous arrive d’aller à Viroflay en chemin de fer, je vous recommande, sur votre gauche, à la station de Suresnes, une villa à prétention de château d’une architecture tout à fait bizarre. C’est un méli-mélo de tous les styles, un amalgame disgracieux de tourelles, de toits pointus, plats et carrés, de belvédères, de cheminées monumentales, de clochetons, de pignons, de piliers, de pigeonniers, de colonnettes, de girouettes, le tout en briques un ensemble opulent, cossu, criard, extraordinaire qui arrache à tout le monde cette seule et unique exclamation :

-  Mon Dieu, que cela a dû coûter cher !

Naturellement, vous vous informerez, ainsi que je l’ai fait moi-même.

-  Quel est le propriétaire ?

Et on vous répondra

-  C’est M. Worth.

-  Le couturier ?

-  Oui, monsieur.

Il n’est pas mauvais qu’il y ait ainsi, aux portes de Paris, sur une hauteur, juste en face delà grande ville et la dominant, une villa, un castel, un palais qui soit comme lé résumé en pierre du luxe, de la vanité et de l’éternelle coquetterie féminine. Que de grandes élégantes, en contemplant de loin cette demeure fastueuse, aux toits de toutes formes, aux façades capricieusement variées, un Kremlin au petit pied, le Kremlin de la couture, doivent se dire :

-  Eh mais. ce balcon en fer forgé. je le reconnais, c’est ma dernière toilette d’Opéra qui l’a payé. Et cette terrasse... c’est la robe que j’avais au bal de la duchesse ! La troisième fenêtre à gauche, c’est mon négligé du matin quant au petit mur qu’on vient d’ajouter du côté des communs. cela doit être mon costume de plage !

Mais les maris ? Ils ne disent rien, les maris. Je serais curieux pourtant de connaître les réflexions que le Trianon de M. Worth est à même de leur inspirer.

***

J’arrive à Viroflay. Si, à Croissy, on ne cultive guère que le navet, les champs de Viroflay semblent surtout produire des mouchoirs et des chemises.

Partout, autour de moi, j’aperçois du linge étendu et séchant au soleil. C’est que la population féminine de l’endroit se compose en majeure partie de blanchisseuses. Beaucoup de jolies filles, solides, fraîches, les manches retroussées, le corsage ouvert, accueillent le promeneur avec un sourire avenant. Mais ces sourires-là, c’est comme les fruits des vergers on peut s’en repaître le regard, seulement il est défendu dé cueillir. Ceux qui cueillent, ce sont les maraîchers du pays et puis - mais les dimanches et jours fériés seulement - les soldats de la garnison de Versailles. Aussi Viroflay, qui mérite pourtant de compter parmi les endroits paisibles des environs de Paris, a-t-il deux ou trois bals, également fréquentés par un monde aussi spécial que celui des canotiers à Bougival le monde des blanchisseuses !

A cela près, Viroflay est ce qu’on peut rêver de plus tranquille. Les solos de cornet à pistons y font aux rossignols une concurrence peu fréquente. Les promenades, dans le vallon et sur les collines, sont variées et agréables. On ne sait au juste où commence ni où finit la commune. On fait deux pas on est à Chaville trois tours de roue : on est à Versailles ; on recule un peu on est à Ville-d’Avray. Vous vous promenez avec un habitant de Viroflay dans les bois ravissants du voisinage. Vous vous extasiez :

-  Les jolis bois ! Comment les appelez-vous ?

-  Ce sont les bois de Viroflay, mon cher !

Le lendemain, vous revenez dans les mêmes bois avec un habitant de Ville-d’Avray.

-  Décidément, vous écriez-vous, ces bois de Viroflay sont adorables !

-  Comment. mais pas du tout. Ce sont les bois de Ville-d’Avray !

Alors, pour être sûrement renseigné, on consulte la carte de l’Etat-Major et on lit : « Bois des Fausses-Reposes »

***

Viroflay est séparé par un viaduc en deux quartiers bien distincts le Haut et le Bas-Viroflay.

Dans le Haut-Viroflay, je trouve la propriété de M. Joseph Bertrand, de l’Institut, propriété assez vaste, créée par M. Duchatel, l’ancien ministre. M. Bertrand, un des hommes les plus distingués de ce temps, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, appartient à la catégorie de jour en jour plus rare des savants aimables : il sait son Musset par coeur. Devant sa maison, au milieu d’une immense pelouse, son jardinier s’est amusé à dessiner une croix de la Légion d’honneur et les palmes académiques. Mais hâtons-nous de constater que M. Joseph Bertrand est resté complètement étranger à cette fantaisie d’horticulteur. Dans le Haut-Viroflay également, la villa de M. Maze, député de Seine-et-Oise, et celle de notre confrère Jules Claretie.

M. Claretie est un propriétaire de fraîche date. Il vient seulement d’acheter la maison de campagne qu’il habite en ce moment. La maison est gentille, gaie, coquette, entourée d’un jardin plein de fleurs et de grands arbres. Elle a été louée, il y a deux ans, à Mme Kestner, la belle-mère du citoyen Charles Floquet. M. Gambetta y venait souvent. C’est en y venant, qu’à Ville-d’Avray il a vu l’annonce de la vente des Jardies, la modeste retraite où, au milieu de ses intimes, M. le Président de la Chambre redevient le plus gai et le plus aimable des compagnons.

M. Jules Claretie passe, en ce moment, par toutes les joies du propriétaire novice.. Il parle avec amour des améliorations qu’il compte faire, de l’espèce, de jardin d’hiver qu’il veut transformer en salle a manger, du champ d’à côté qu’il se propose d’annexer. Grand ami de peinture et de ceux qui en font, M. Claretie n’a transporté à la campagne que quelques-uns des jolis tableaux qu’il possède. Parmi ceux-là il vient d’en arriver un, tout récemment : c’est le portrait de son fils, véritable chef-d’oeuvre, signé Carolus-Duran.

Quand M. Claretie s’est décidé à acheter à Viroflay, on lui a dit :

-  Ce qui est surtout agréable ici. c’est qu’il n’y a jamais d’orage !

Depuis qu’il y est, le tonnerre est tombé deux fois à fort peu de distance de sa propriété. En revanche, il a pu constater que s’il y a des orages à Viroflay comme ailleurs, il n’y a pas de pharmacien - on va à Chaville ; pas de médecin - on va à Versailles ; et pas de pâtissier - on va au chef-lieu. Chercheur, fureteur comme il est, M. Claretie, à peine installé à Viroflay a tout naturellement voulu savoir ce que l’histoire pouvait enregistrer d’intéressant concernant cette commune. Or, M. Claretie, en ce moment, collabore beaucoup avec Victorien Sardou - une collaboration théâtrale. Personne n’était plus que Sardou à même de le renseigner : Sardou sait tout.

Mais aux premiers mots, le châtelain de Marly l’arrêta.

-  Attendez, lui dit-il, j’ai ce qu’il vous faut.

-  Parbleu, j’en étais sûr !

Sardou sonna son domestique.

-  Le serrurier est-il encore là ?

-  Oui, monsieur. Justement il a fini de poser les sonnettes du premier.

-  Envoie-le-moi.

Claretie ouvrit des yeux étonnés.

Bientôt il vit entrer un homme d’une quarantaine d’années, à l’oeil ouvert, à la physionomie intelligente.

C’était le serrurier.

-  Je vous présente, lui dit Sardou, mon ami Claretie qui cherche, des renseignements historiques sur Viroflay. En avez-vous ?

-  J’en ai quelques-uns et ... puis ... je suis prêt à faire les recherches nécessaires.

M, Claretie marcha de surprises en surprises.

Le serrurier de Marly n’est pas, en effet, un serrurier ordinaire. M. Adrien Maquet est un homme instruit, travailleur, consacrant à l’étude les loisirs que lui laisse son métier. Ah ! s’il voulait, quel joli portrait Sardou ferait de cet ouvrier serrurier, passionné pour les vieux bouquins, les documents perdus dans les archives et qui est actuellement occupé à écrire une histoire de Marly, en deux volumes, dont l’auteur de Dora a promis de faire la préface.

Peu de jours après avoir fait sa connaissance, Claretie vit arriver M. Maquet. Il lui apportait le résultat de ses fouilles, une quantité de notes sur Viroflay, plus intéressantes les unes que les autres. J’en copie une dans le tas, à titre d’échantillon « Du 6 au 12 juin 1574, se découvrirent plusieurs gens de guerre, tant de pied que de cheval, tenant les champs vers Trappes, Versailles, Ursines, Viroflay, et villages circonvoisins, et vivant à discrétion, desquels on ne pût oncques savoir les noms ni l’entreprise » (P. L’Estoile. Journal de Henri III. Tome I. p. 82.) Comme la villégiature. à cette époque, devait être agréable !

M. Claretie parcourut toutes ces notes avec étonnement et ravissement.

-  Et maintenant, lui dit le serrurier avant de prendre congé, si vous aviez quelque verrou à poser ? ...

***

Le Bas-Viroflay possède plusieurs villas à noter. Celle de M. Cresson, l’ancien préfet de police ; celle de Mme Dailly où Mgr. Dupanloup venait tous les ans passer un mois ; celle du baron Malouët construite par le duc de Morny qui vint s’y installer au lendemain de son mariage ; celle de M. Gaston Boissier, le charmant et si érudit auteur des Promenades archéologiques ; enfin les maisonnettes d’Alicq Théricet de Victor Tissot, le plus observateur des voyageurs. Une société choisie, comme vous voyez, une villégiature tranquille où seule la fête patronale apporte, une fois l’an, sa note tapageuse.

A la dernière, qui vient d’avoir lieu, le motif principal du feu d’artifice représentait - devinez quoi, je vous le donne en mille :

LA RÉPUBLIQUE TERRASSANT LA MONARCHIE

Parole d’honneur ! ces choses-là ne s’inventent pas. Voyez-vous la politique, qui se fourre partout,-dénaturer jusqu’aux feux d’artifice ? O bon soleil tournant de mes jeunes années, moulins sans prétention, fontaines de feu, serpents courant après les papillons, où êtes-vous ? Et quelles étaient les intentions de l’artificier ? A-t-il voulu faire plaisir aux vrais républicains Ou simplement leur rappeler que bien souvent des grandes phrases et des grands symboles, comme les feux d’artifice, il ne reste qu’un peu de fumée, puis ... la nuit !

Un Monsieur de l’Orchestre


Le Gaulois

ARTHUR MEYER Directeur RÉDACTION 2, rue Drouot (Angle des boulevards de Montmartre et des Halles) ABONNEMENTS Paris et départements Un mois. 6fr. Six mois. 27 fr. Un an 84 fr. Les manuscrits ne sont pas rendus LE PLUS GRAND JOURNAL DU MATIN

JUILLET

C’est le mois le plus terrible de l’année.

D’abord, il fait chaud et l’on ne s’est pas encore habitué à la chaleur. Depuis que les saisons se sont mises, comme on sait, à retarder, que le printemps commence en juin, au plus tôt, l’été occidental est devenu ce qu’était et ce qu’a continué d’être l’été russe. Il arrive brusquement, il survient en trombe. Quelques orages, tonnerre, éclairs, nappes de pluie, et puis très chaud, ciel d’airain, l’été, l’été torride. Accablement, sécheresse de l’air, sueurs de tuberculeux, odeurs de Paris, relents, miasmes, voilà juillet.

Il a sa physionomie très particulière. Il est comme méchant, hostile, irascible, essentiellement rageur. Les crimes s’y multiplient. Exaspération des nerfs. La chaleur nous détend, nous autres bonnes gens. Elle nous rend veules. Nous ne ferions pas de mal à un ciron. Elle excite les névropathes, les déséquilibrés, les alcooliques, tous les tarés physiologiques. Depuis quelques jours, les crimes passionnels se multiplient, comme vous avez vu. « Ah ! monsieur le commissaire, on ne tue que quand on aime. » Ce madrigal exquis est un mot de mois de juillet. En décembre, on entend dire « On tue quand on a faim. » Chaque saison a ses formules, comme ses plaisirs. Juillet est homicide par déchainement passionnel et romantique. Juillet s’appelle Antony, comme mai s’appelle Roméo. Juillet n’a rien de commun avec Juliette.

Pour y mettre une note gaie, autrefois on y avait placé une fête, le 14 juillet. C’était une fête populaire, bruyante, aveuglante et tonitruante, très désagréable pour les gens paisibles, mais très bon enfant, pleine de bonhomie et d’abandon, relativement rafraîchissante. En vérité, pendant trois ou quatre jours, on ne pensait pas à mal on ne pensait à rien du tout, et Dieu sait si l’on aurait pu penser à quelque chose parmi retentissements de trompe, cuivres aigus des chevaux de bois et brusques déchirements de pétarades mais enfin on ne songeait point à mal. C’était un interrègne de badauderie. Ce temps est passé. La fête du 14 juillet n’existe en réalité plus du tout. Devenue de plus en plus fête de quartier, elle devient fête excentrique. Elle laisse tranquille le centre de la ville, ou à peu près. Je ce songe pas à m’en plaindre, ah ! Dieu non ! Mais enfin c’est une suspension des hostilités qui n’a plus lieu. Juillet est hostile maintenant de son premier jour à son dernier, de ses trente et un jours bien comptés ; car il en a trente et un, l’intrigant. Il ne s’est rien refusé pour nous être désagréable.

L’été

Et c’est le mois des examens, des compositions, des concours et de toutes les opérations violentes de l’adolescence. C’est le mois du surmenage. C’est sous ce ciel inclément et trop radieux que les « jeunes », comme disent les naturalistes et les hommes de lettres, se livrent aux douceurs de la lutte pour la vie. Pourquoi ce choix ? Pourquoi précisément ce mois redoutable élu pour les grands efforts athlétiques des générations montantes ? Je le sais très bien. Un philosophe me l’a expliqué. C’est symbolique. C’est parce que Juillet est le mois des moissons. Le laboureur récolte le fruit de ses peines, l’écolier aussi ; le laboureur moissonne les blés d’or, l’écolier moissonne la gloire, les « lauriers », les « palmes ». Tous moissonneurs. Cela peut faire un tableau allégorique. Tout ce qui peut constituer un tableau allégorique est plausible, acceptable et légitime. C’est même à cela qu’on reconnaît une idée juste. Et, après tout, je vous prie, si ce n’est pas à cela, à quoi est-ce ? C’est symbolique, aussi c’est égalitaire. Ici mon philosophe devenait un peu démagogue. Vous voudriez que les serviteurs de la glèbe eussent au mois de juillet leur travail le plus dur de l’année, travail formidable, insensé, qui commence à quatre heures du matin et qui finit à huit heures du soir, sous un soleil invraisemblable, et montant à la figure l’haleine chaude de la terre, entre deux souffles de four et que vos fils ne connussent pas les férocités de juillet, ses exigences impérieuses, ses tyrannies grondantes de volcan, ses labeurs exacerbés et fébriles ? Non, vous ne le voudriez pas. Egalité pour tous. Vous êtes trop bon démocrate, monsieur. Evidemment.

Ne nous le dissimulons pas, poursuivait-il. Oui, juillet est un tyran. Remarquez qu’il porte le nom du grand dompteur des Gaules et de Rome. C’est le mois de Jules César. Voilà encore qui est significatif. Il faut comprendre il faut pénétrer le sens profond des mots et des choses.

Je remarque aussi qu’il est le septième mois de l’année. Hélas il n’en est pas des mois comme des jours. Dieu a voulu qu’on se reposât le septième jour ; il n’a certainement pas voulu qu’on se reposât le septième mois. Juillet a encore dans notre vie sociale de civilisés, dans la vie urbaine au moins, un caractère particulier, qui, du reste, n’est pas plus drôle que tes autres. C’est le mois de la locomotion intensive pour les bons pères de famille et même pour les aînés des « jeunes » et même pour les mamans, et ma foi un peu pour tout le monde. Août et septembre le sont beaucoup moins. Voici pourquoi.

II est entendu qu’à partir du 15 juin on ne reste plus à Paris. « Du moment que le grand prix est couru ! A partir du 15 juin, un peu plus tôt un peu plus tard, on s’installe à la campagne. Je n’ai jamais trop bien compris pourquoi car, sauf quelques désagréments d’ordre olfactif, Paris est très agréable en été, et c’est peut-être encore la que juillet est le plus supportable. Mais les choses sont ainsi réglées. On ne reste pas à Paris passé le 15 juin. C’est un peu snobisme, un peu habitude, un peu raison aussi. C’est pour tes enfants. « Les enfants ont besoin d’air. Ces pauvres enfants ont besoin d’oxygène. Allons chercher l’oxygène. » Sur quoi on s’installe à une distance plus ou moins grande de la ville splendide. Seulement, pendant ce temps-là, la vie civile continue. Les vacances n’ont commencé nulle part. Le père va toujours à son bureau, au Palais, à son étude, partout où l’on travaille le fils va toujours à son lycée, à son école de droit, de lettres ou de médecine. Il y va seulement un peu plus qu’à l’ordinaire. Ce sont vacances avant tes vacances, vacances préalables, vacances propitiatoires, vacances d’avant-goût, vacances apéritives, demi-vacances, petites vacances, et ce ne sont pas vacances du tout. Oh non ! Et c’est précisément le contraire. Oh oui.

Le très peu d’heures que le père de famille pouvait consacrer à son loisir, à son repos, à une récréation physique ou intellectuelle, est désormais consacré au chemin de fer. Deux fois par jour, père de famille, grand-frère, demi-grand-frère, sont convoyés de Viroflay à Paris et de Paris à Viroflay par de rudes chaleurs, dans des chars qui n’ont que de lointaines analogies avec ces glacières. Et c’est là ce qu’on appelle la villégiature. A la rigueur, cela peut s’appeler de l’aération, et certainement c’est changer d’air deux fois par jour, mais ce n’est pas tout à fait de la villégiature. Propos de juillet : « Je vais à la gare. Je viens de la gare. Je retourne à ta gare. Cocher, vite à la gare ! Avez-vous l’heure de la gare ? Par quelle gare ? Nous nous retrouverons à la gare. Je ne sais pas ; je l’ai connu à la gare. »

La majorité des Parisiens est transformée au cours de ce mois en employés de chemins de fer. Ils en prennent même la tournure, l’allure pressée, la parole brève, le regard inquiet. Ils ont tous l’air d’aller tourner un disque et de surveiller l’arrivée du 117. Il ne leur manque que la casquette. Un sentiment inaccoutumé se développe en eux l’anxiété. Tout le reste de l’année, ils sont actifs en juillet, ils sont agités. Quelque chose qu’ils fassent, elle est subordonnée à l’heure du chemin de fer.

Leurs projets sont chronométriques, leurs plans sont des horaires, leurs pensées se décomposent en minutes et s’analysent en secondes, leurs sentiments sont comme les discours des anciens orateurs attiques ils sont mesurés à la clepsydre. J’ai entendu ces propos d’amour sous des ombrages charmants car il y en a encore dans Paris ! Vous ne m’aimez plus ! Si Si ! Oh ! Mais je vais manquer le chemin de fer. » Le chemin de fer règle les destinées estivales. Il est le roi, la constitution et la loi de l’été. On peut l’appeler le gouvernement de Juillet.

Ce qui est au fond du cerveau et du cœur de tous ces gens que vous rencontrez, à qui vous parlez et qui ne vous écoutent pas, que vous saluez et qui vous reconnaissent peu, c’est, croyez-vous, la méditation d’un grand projet, l’élaboration d’une grande pensée, la combinaison d’un assassinat, enfin, les choses qui occupent à l’ordinaire l’intérieur des êtres humains. Point du tout, c’est ce grand cadran blanc à aiguilles noires, à chiffres noirs, qu’on cherche à distinguer de loin dans la grande avenue, ou qu’on aperçoit brusquement au coude de la rue, et dont la vue vous donne un coup au coeur, à chaque fois. Ce cadran, où la petite, aiguille a la bonté de paraître immobile, mais où la grande s’avance, à chaque minute, comme sautant d’un petit coup sec, très guilleret et gouailleur, il habite le cœur de tout Parisien au mois de juillet. Il est là, large et envahisseur, battant à pulsations régulières et implacables, et à quoi que l’on s’occupe, c’est toujours à lui qu’on songe, et lui qu’on voit, et lui qui vous hante. Un Parisien de juillet, c’est un vertébré à mouvement d’horlogerie.

Horrible saison pour le doux raseur. Plus un homme qui se prête, même en apparence, à ses petites opérations. Plus un homme, non-seulement qui l’écoute, mais qui fasse même semblant de l’écouter « Ah ! Monsieur, me disait-il, je suis bien occupé. Ils sont tous à la campagne. Et le peu de temps qu’ils passent ici, croyez-vous qu’ils n’en ont jamais une heure et demie pour moi ! Postez-vous aux gares J’y suis toujours mais ils arrivent toujours en retard. Je renonce. »

Une saison où le raseur renonce est une saison où l’activité humaine est à son maximum absolu d’intensité. Nec plus ultra. Au bout d’un mois ou de six semaines d’une pareille existence, le Parisien est un peu fourbu. Il a beau dire qu’il faut bien se reposer, ce genre de repos lui paraît tout de même tendre un peu les nerfs, luxer un peu les muscles et peser un peu sur les tendons. N’importe, juillet est béni. Pourquoi ? Parce qu’il est une promesse. Ces demi-vacances sont beaucoup plus fatigantes que la période officielle du travail mais, pour un certain nombre au moins, elles annoncent les vacances vraies. En août, on se repose réellement. En août, on habite Viroflay, autrement que pour en partir tous les jours. On est absent de Paris non plus en ce sens qu’on vient à Paris tous les matins. Voilà pourquoi juillet est plus cher aux cœurs bien placés qu’août lui-même. C’est le mot de l’écolier « Quel est le plus beau jour de la semaine ? Le samedi. - Pourquoi le samedi ? C’est la veille du jour où l’on s’amuse. »

Emile Fagnot Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, consultation en nov. 2009


mise à jour mai 2017